Les 50èmes hurlants…en cargo


A Puerto Montt, la salle d’embarquement de la société Navimag se rempli peu à peu. Environ 150 passagers vont faire cette traversée au travers des canaux patagoniens avec nous. Il y a de tout : personnes âgées adeptes des croisières, motards faisant transporter leur moto sur le cargo, chiliens visitant la famille à Puerto Natales, américains en veste Matmut et doudoune Patagonia, pourtant sur eux plus de 1000€ de vêtements techniques, « mochileros » espagnols et routards français, habillés bien sûrs en Quechua. Ça ne sera pas la navigation en voilier, soumis aux éléments, mouillant devant les villages de pêcheurs chiliens, qui nous avait fait rêvé dans le livre « Les enfants du large », mais le décors sera le même, et c’est un moyen plus original pour se rentre au Sud de la Patagonie que de faire 10h de bus dans la pampa argentine.

Le navire de Navimag est à mi-chemin entre le bateau de croisière et le cargo : 150 passagers, une vingtaine de membres d’équipage, une salle à manger style cantine scolaire, un pub, quelques bancs sur les coursives et une capacité de fret importante : nous voyageons avec camions, containers et véhicules.

Le prix dépend de la cabine : de la couchette dans le couloir à la cabine privée avec fenêtre et salle de bain privative. Nous avons choisi la cabine CC : cabines de 4 à partager avec deux autres personnes et salle de bain commune. C’est à peine plus cher et beaucoup plus confortable qu’une couchette dans le couloir, isolée seulement par un rideau.

Le rythme est facile à suivre : petit déjeuner à 8h30, réunion à 9h30 où « l’animateur » nous explique le trajet de la journée et les point clefs du paysage à ne pas manquer. Repas en deux services à 12h ou 13h, exposé sur la faune et la flore patagonienne à 16h (durant lequel j’apprendrais que les jeunes baleines grossissent de 4kg par heure), dîner à 19h ou 20h et film (du style la marche de l’empereur, pour rester dans l’ambiance) le soir pour s’endormir. J’ai l’impression d’être en classe-découverte ou en colonie de vacances. Ça a le mérite d’être reposant et de nous laisser le temps de discuter avec Isaac et Leyre, le couple de catalans qui partage notre cabine et d’entretenir notre français avec un couple de parisiens, qui a fait presque le même itinéraire que nous.

Le paysage est magnifique : la plupart de la navigation s’effectue dans les canaux formés par les nombreuses îles de la région. Le bateau navigue donc en mer quasi fermée, avec deux chaînes montagneuses de part et d’autre. Le bateau ne bouge donc que lors des virages serrés, pendent lesquels il penche légèrement.

Cependant nous avons quand même une douzaine d’heures de navigation en pleine mer, autour du cap et du golfe de Pena. La mer n’y est pas très forte lors de notre passage, juste une houle un peu courte d’un mètre à peine. Cependant le bateau ne bouge pas du tout de la même façon qu’un voilier, et je tombe malade. Mon erreur a été de prendre un maté, boisson locale faisant le même effet que le café, et d’écrire à l’ordinateur sans regarder la mer. Une pastille contre le mal de mer donnée par un autre passager compatissant et une sieste me remettent finalement en jambes.

Le clou du spectacle est le glacier « Campo de Hielo Sur », pour lequel le bateau fera un détour de quelques dizaines de miles afin que nous puissions l’admirer de près avec chute de blocs de glace compris (peut-être aidée par le bruit des sirènes qu’il fait sonner longuement face au glacier).



Après le glacier, nous passons à proximité de l’épave du Léonidas. Transportant une cargaison de sucre du Brésil, le capitaine a eu l’idée de la vendre en Uruguay, puis de simuler un accident et faire couler le navire en Patagonie afin de toucher la prime d’assurance. Le seul problème, c’est qu’il n’est pas arrivé à le faire couler.

Le bateau navigue jour et nuit, à environ 11 nœuds. La seule étape est Port Eden. Petit village accessible seulement par la mer, établi dans les années 30 comme étape pour les hydravions. C’est maintenant un village vivant de la pêche et du tourisme, et où vivent également les derniers Kawaskar, anciens nomades des mers. Une équipe de tournage a d’ailleurs prévu de faire un reportage sur eux appelé « Ultima Esperanza ». Ils sont tous sexagénaires, et à priori, selon le directeur de la photographie qui est aussi leur interprète, ils sont à priori opposé à être filmés pour tout reportage. Toute l’équipe, une dizaine de personnes va donc débarquer à Port Eden, sans savoir s’ils pourront tourner quoi que ce soit. Ils résistent extrêmement bien au froid et sont capables de plonger sans combinaison dans les eaux glaciales de la Patagonie. C’est cette résistance qui permet à l’un d’eux de vivre à New York, où il a été envoyé il y a 35ans comme refugé politique : il y vend sa semence à des femmes désireuse d’avoir une descendance résistante au froid, ce qui sera très utile pour la prochaine période glaciaire.

Une mini-excursion d’une heure est proposée. Il faut payer 5000CLP (7.50EUR) par personne aux habitants de Port Eden qui viennent chercher les passagers en barque. Afin de ne perdre de vue personne, l’« animateur » demande de garder les gilets de sauvetage orange à terre. Étant donné le prix et n’étant pas fan des débarquements en masse, nous restons sur le bateau assister au beau défilé orange, et en profitons pour installer la slackline.


Le rythme lent de la vie sur le bateau est propice aux rencontres et aux discussions. Nous sympathisons entre autres avec nos compagnons de chambre, Isaac et Leyre, un couple de catalans, et avec Cyrille et Sandrine, un paisible couple de parisiens accompagnés de Pascal, un chef de Bayonne.



Le soir du dernier jour, c’est ambiance « La Croisière s’amuse » avec 3 activités : une enchère au profit du Téléthon chilien, qui sert à hospitaliser les enfants handicapés, car la politique ultra-libérale chilienne ne permet pas leur prise en charge par l’état, un bingo, et une soirée dansante. On nous distribue également des enveloppes afin de donner du pourboire au personnel. Le pourboire suggéré est de 15000CLP (22.50EUR) par jour et par personne, ce qui représente 10% du prix du billet. C’est vrai que le personnel est tout à fait compétent : nous sommes par exemple étonnés qu’ils arrivent à cuire correctement les aliments (les pâtes sont al-denté, et le poulet bien cuit), dans un restaurant type « self-service ».

Le lendemain, nous remarquons que le bateau bouge un peu. Pourtant nous sommes dans une mer intérieure, formée par la baie de Puerto Natales et de nombreuses îles, où la houle de l’océan ne pénètre pas. Je sors dehors : de la pluie et 25noeuds de vent.

Plus la journée passe, plus le vent augmente et nous arrivons devant le port de Puerto Natales avec 40 nœuds de vent sous grain. Et c’est là que je me rends compte que la navigation en ferry n’a rien à voir avec la navigation en voilier. N’importe quel voilier se serait hâté de se mettre à l’abri dans le port (qui est en fait une grande baie très fermée). Mais en ferry, il faut demander l’autorisation et elle n’est pas accordée. Les autorités portuaires ne nous permettent pas non plus de mouiller dans la baie de Puerto Natales, le ferry doit donc retraverser toute la baie pour se mettre au mouillage sous le vent d’une colline de l’autre côté de la baie. Au mouillage, en raison de la taille de ses hyper-structures qui représentent une grosse prise au vent, le bateau ne se met pas naturellement dans l’axe du vent : il faut utiliser régulièrement le moteur pour se repositionner face au vent.

Le débarquement était initialement prévu à 14h, juste après le repas. Finalement nous passerons toute l’après-midi dans ce mouillage.

Le soir, autorisation est donnée d’entrer dans le port. Je n’ai pourtant pas l’impression que le vent ait baissé. Le bateau repart à toute vapeur vers Puerto Natales. Cependant s’il a l’autorisation de rentrer dans le port, il n’a pas l’autorisation d’accoster. Il fera donc des boucles dans le port pendant une bonne partie de la nuit.

Pendant ce temps, le personnel fait des heures supplémentaires et nous sert à dîner. Heureusement qu’ils ont prévu du rab en avitaillement. De nombreuses personnes, peu habituées à être soumises au contraintes de la météo, commencent à stresser. Et l’attitude de notre « animateur » n’arrange pas les choses : étant donné qu’il a l’habitude, il ne communique que lorsqu’il y a du nouveau, ne vas par chercher l’information auprès de l’équipe de navigation, et n’explique rien. Il se contente de répondre : « ça ne dépend pas de nous, ça dépend des autorités portuaires », même lorsqu’on lui demande si on va avoir à dîner. Je ne pense pas que les autorités portuaires décident de ce que l’on va manger et de quand la tempête va finir. Donner quelques informations sur les prévisions météo, expliquer aux gens ce qui va se passer en fonction des deux ou trois scénarios probables, et faire un point toutes les 2h même lorsqu’il n’y a rien de nouveau aurait été plus professionnel.

Nous allons nous coucher pendant que le bateau continue ses boucles. Lorsque nous nous réveillons, le bateau a accosté. Informations prises, l’autorisation a été donnée à 2h du matin. On nous sert une dernier petit déjeuner et nous débarquons à Puerto Natales, sous un timide ciel bleu post-tempête naissant.


Annexe : quelques conseils aux navigateurs à voile en Patagonie

  • Le vent souffle en général du Sud-Ouest, il faut mieux donc faire le trajet dans le sens des aiguilles d’une montre.
  • Les canaux sont en général assez larges pour louvoyer, surtout qu’en général il n’y a pas d’autres bateaux
  • Sauf pendant les rares traversées en pleine mer, on est toujours à quelques miles d’un mouillage
  • Même en été, l’eau est froide et l’air aussi
  • Il y a très peu d’endroits pour ravitailler en nourriture ou carburant. En revanche pas mal de rivières tombent directement dans la mer, ça doit être faisable de récupérer de l’eau douce en annexe
  • C’est possible de se prendre des vents glaciaux de 40noeuds
  • Il n’y a jamais de pontons dans les ports, et étant donné la température de l’eau et le fait que le mouillage peut être potentiellement venté, une bonne annexe est indispensable

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