La Paz, capitale du catch

Nous arrivons à la Paz par le haut de la ville, le quartier nommé « El Alto ». C’est le quartier pauvre de la Paz, mais l’activité économique y est intense. Les voleurs n’y sont pas très appréciés, en témoigne un mannequin pendu qui porte l’inscription suivante : « Tout voleur sera brûlé ». Macabre à souhait.

Depuis El Alto, l’arrivée sur la Paz se fait par une autoroute intra-urbaine depuis laquelle on voit toute la ville. Seules deux million de personnes y vivent, mais en voyant les deux versants de la vallée complètements couverts de maisons en briques sur 1000m de dénivelé de part et d’autre, on a l’impression qu’il y a beaucoup plus d’habitants. Pour quelqu’un qui n’aime pas les grandes villes, l’arrivée sur La Paz est très angoissante.

Cette fois nous allons être hébergé par la famille de Lily, qui travaille avec la famille de Marta en Espagne, mais dont la sœur et la mère vivent à La Paz. C’est Jannet, la sœur de Lily, accompagnée de son futur époux Christian qui viennent nous chercher au terminal de bus. Encore une fois, nous avons des problèmes avec les taxis : bien qu’on soit accompagnés de boliviens, notre présence avec nos gros sacs à dos multiplie le prix de la course par 4. Finalement le quatrième taxi qu’arrêtera Christian proposera un prix raisonnable, juste un peu plus que le prix normal, mais on dira que c’est justifié par la présence des sacs à dos qu’on doit mettre dans le coffre.

Ils habitent dans le quartier de Vino Tinto, à seulement 1km à vol d’oiseau du centre ville qui se trouve en fond de vallée. Mais à La Paz, les rues montent sec. Empruntant une rue à 30°, on gagne en quelques minutes une centaines de mètres de dénivelé, et j’ai l’impression que si jamais le taxi s’arrête, il ne pourra pas redémarrer dans la côte. Ils habitent au 4ème étage et la vue panoramique sur la ville est magnifique. Une fois dans l’appartement mon angoisse retombe : comme dans beaucoup de grandes villes, finalement, l’endroit où on est le mieux c’est à la maison.

Jannet et Christian nous racontent l’histoire récente de la Bolivie. Par rapport à l’Europe de l’Ouest, c’est un autre monde : il y a environ 7 ans, l’ancien président Eduardo Rodríguez (le prédécesseur d’Evo Moralès) s’est lancé dans une campagne de privatisations au profit de ses amis et relations. Le résultat a été une inflation colossale. Pour prendre un exemple le prix d’un œuf est passé de 0.5Bs à 2Bs. L’augmentation du prix du gaz a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Révoltes et blocus routiers sont devenus quotidiens. En réponse aux manifestations, le président a envoyé les militaires, ce qui a eu pour effet de faire sortir encore plus de monde dans la rue, y compris des gens venus d’autres villes que La Paz. C’est à ce moment là que les militaires ont commencé à tirer sur les gens dans le quartier de El Alto. Du coup plus personne ne sortait et Christian nous raconte les recettes improvisées avec les provisions que lui préparait sa mère. On croirait entendre un récit du temps de l’occupation en France. Il y a eu des affrontements entre militaires et la police, qui avait pris le parti de la population.

Pendant ce temps le président et ses potes se sont enfermé dans le palais présidentiel (surnommé le palais brûlé en référence aux nombreuses fois ou il a été incendié par la population mécontente). Il ont réussi à aller à la banque centrale, une rue plus loin, retirer de grosses mallettes de billets et filer à Santa Cruz, à l’autre bout de la Bolivie, d’où ils ont pu s’échapper aux USA. L’ancien président y vit encore et n’a jamais été extradé.

Jannet nous raconte aussi comment Evo Moralès est arrivé au pouvoir. C’était un cultivateur de Coca de la province d’Oruro. Il a fini par être connu dans le milieu paysan à force de revendiquer des améliorations de conditions de travail et en se syndicalisant. Pendant les manifestations contre son prédécesseur, Evo a souvent été en tête de file. Il a même du se cacher car il était recherché par les militaires. La fuite de l’ancien président aux USA a conduit à organiser des élections. Il s’est présenté et a gagné grâce à un commentaire du secrétaire d’état États-unien : « qui va voter pour un paysan ignorant ? »

Enfin ils nous racontent comment est construit La Paz. La majorité des bâtiments reposent sur un terrain instable : avant la vallée était parcourue de rivières. Du coup lors de la saison des pluies il y a des bâtiments qui s’affaissent. Nous apprenons également pourquoi de nombreuses maisons ne sont pas peintes et présentent un dernier étage qui semple en construction : les maisons terminées sont imposables. Il est donc moins coûteux de vivre dans une maison qui semble non terminée. J’avais observé le même phénomène en Égypte.

Le lendemain nous visitons le centre de La Paz. L’église de la place Saint Francisco est une remarquable illustration du syncrétisme : sa façade est décorée d’un mélanges de motifs catholiques et de divinités Incas. Les franciscains ont été les premiers à s’indigner face aux exactions des conquistadors espagnols. En réponse, le roi a interdit la fondation de nouveaux ordres franciscains dans le nouveau monde.

Nous passons également par le quartier des boutiques d’artisanat pour acheter un pull en laine d’alpaga. Nous remarquons que certaines boutiques vendent des fœtus de lama desséchés. Étrange pour un souvenir. En réalité il s’agit de boutiques de sorcellerie qui se trouvent dans le même quartier que les boutiques de souvenirs.

Les fœtus de lamas servent de porte bonheur lors de la construction d’une maison. Il s’agit d’une offrande à la Pachamama (Terre-mère) et le fœtus est enterré sous la première brique de la construction. Mais pour les constructions plus importantes qu’une maison, un lama ne suffit pas : il faut enterrer un humain. Il s’agit souvent d’un clochard sans famille dont personne ne se rendra compte de la disparition, qui est traité comme un roi pendant une journée puis enterré inconscient (en état de comma éthylique) mais vivant et meure d’hypothermie. C’est difficile à croire qu’une telle pratique existe mais malgré les tabou elle commence à être documentée.

Le pire c’est que la superstition existe même chez les personnes qui ont fait des études : les architectes et chefs de chantier, et aussi les avocats, qui ont l’habitude de monter tous les vendredis un rituel dans leur étude pour gagner leurs procès. Et a El Alto nous verrons une centaine de petites échoppes bleues alignées: il s’agit d’échoppes de sorciers.

Nous visitons également le musée d’art moderne qui présente une collection intéressante pour les non initiés comme nous avec peu d’œuvres abstraites. L’art se rencontre aussi dans la rue avec de nombreux graffitis et fresques.

Nous visitons également le grand parc de la ville très animé le samedi avec des matchs de foot à 4000m, et enfin le fameux Palais Brûlé.

Le dimanche, n’assistant pas à la messe, nous attendons Jannet, Christian et la mère de Jannet devant l’église Saint Francisco. Nous assistons à un défilé dans la rue adjacente. C’est une folie la Bolivie, dans chaque ville où nous allons nous assistons à une fête.

Ils nous emmènent ensuite au marché « 16 de Julio » qui se trouve à El Alto. C’est un marché gigantesque, une ville à lui tout seul. On y trouve de tout, des chaussettes aux portières de voitures en passant par les DVD pirates.

Nous sommes aller manger à une « chucharroneria » où nous commanderons tous les plats typiques : le chairo paceño, délicieuse soupe, le fricase, à base de poulet épicé, le charquekan orureño et bien sûr le chicharron. Ayant beaucoup trop commandé, nous demandons des sacs plastiques pour emporter ce qu’il reste. 

Nous continuons la promenade dans le marché sous la protection de la mère de Jannet qui surveille qu’on ne se fasse rien voler, pour finir, sur une idée de Marta à la salle polyvalente de El Alto qui accueille tous les dimanches un spectacle de catch de cholitas. Les cholitas sont les femmes péruviennes habillées de manière typique : robes à 8 épaisseurs et chapeau melon.

Nous faisons la queue pour les tickets et surprise ! Le prix est de 15Bs pour les boliviens et 50Bs pour les étrangers. Au moins ça nous permet de voir ce que ça fait d’être discriminés pour sa couleur de peau.

Pour ceux qui ne connaissent pas le principe du catch : il s’agit d’un spectacle où les acteurs stimulent un combat. Et bien sûr l’arbitre se doit de prendre parti pour un des deux combattants et de participer au combat. Les sorties du ring sont monnaie courante avec les lutteurs qui se battent parmi le public et se lancent même les chaises où nous étions assis. C’est kitsch mais les acteurs-athlètes font des sauts impressionnant en se jetant sur leurs adversaires. Un sorte de mélange de gym et de cirque.

Une partie du public, surtout les vielles dames et les enfants prennent le spectacle très au sérieux, insultant copieusement en jargon bolivien l’arbitre et les lutteurs masculins lors des combats mixtes.

Le spectacle est d’un côté féministe donnant des cholitas une image de femme forte et indépendante et également à la limite de l’homophobie, ou du moins tourne en ridicule un lutteur qui joue le rôle d’un homo. Sans compter que l’insulte « chabon », équivalent de « pédé » en français est l’insulte préférée du public.

Pour notre dernier jour à La Paz, nous faisons un remake de « masterchef » : Christian prépare sa spécialité, les lasagnes, et nous préparons un plat typique espagnol : les lentejas (soupe de lentilles, pommes de terres, oignons, carottes et chorizo), ainsi qu’un accompagnement typique français : la ratatouille. Jannet nous prépare la « bicervecina », bière sans alcool mélangée à du blanc d’œuf, mélange très énergisant, et s’occupe du dessert.

Nous trouvons au supermarché du roquefort chilien, qui d’ailleurs n’a rien à envier au roquefort français. Christian nous demande ce que sont les petits points bleu. Nous lui disons de goûter d’abord et ensuite nous lui expliquons que ce sont des moisissures (mais des moisissures inoffensives). Nous lui apprenons également que la gélatine se prépare à base de cartilage d’animaux.

Nous discutons toute l’après-midi et lorsque vient l’heure du dîner comme il nous reste plein de nourriture, nous recommençons à manger au delà du raisonnable. Au moins j’ai repris les kilogrammes que j’ai perdu dans la première partie du voyage. Dommage que notre destination suivante soit Cochabamba, la capitale gastronomique de Bolivie !

C’est avec regret que nous quittons nos hôtes qui ont été formidables avec nous, mais nous avons un pays à visiter.

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