Dans le magasin Chullanka à Antibes, au rayon escalade j’ai remarqué une plate-forme en aluminium destinée à être accrochée à un ancrage d’escalade afin de passer la nuit à flanc de falaise. Je me suis souvent demandé qui achète ça et quelle falaise est si grande qu’il faut plus d’une journée pour l’escalader. Et bien aux Torres del Paine, ce genre d’équipement sert !
Notre programme est moins ambitieux : nous allons nous contenter de marcher. Deux circuits-type existent : le O, qui fait le tour du massif en une semaine, et le W, où l’on pénètre dans les 3 vallée et qui prend 4 ou 5 jours. Dans le parc, de nombreux refuges privés ont été donnés en concession, mais ils sont encore plus chers qu’en France où c’est déjà pas donné. Nous décidons donc de bivouaquer. L’avantage, c’est qu’à Puerto Natales, où une grande partie de l’économie est basée sur le tourisme, on trouve tout le matériel nécessaire à acheter ou à louer.
Elément | Achat | Location par jour |
Tente 2 places | 42000 CLP (63.00EUR) (marque Nauticat) | 4000 CLP (6.00EUR) |
Tapis de sol | 4000 CLP (6.00EUR) | 500 CLP (0.75EUR) |
Réchaud | 1000 CLP (1.50EUR) | |
Popote | 3000 CLP (4.50EUR) | 1000 CLP (1.50EUR) |
Sac de couchage | ||
Sac à dos |
Malheureusement, il manque une bourse au matériel d’occasion. La seule solution est d’aller sur la place centrale à 21h30 et d’attendre les bus revenant du parc. Surtout que les magasins de locations sont ouverts jusqu’à 22h pour les retours de matériel, donc il est toujours possible d’aller louer ce que l’on n’a pas trouvé. Mais nous aurons cette idée seulement après coup, et nous sommes partis faire le tour des agences/hôtels afin de louer ce dont nous avons besoin : une tente 2 places, deux tapis de sol, un réchaud et une popote. Nous éliminons tout de suite les endroits où le vendeur n’a l’air d’avoir jamais randonné de sa vie et où on n’est pas capable de nous donner le poids de la tente, en nous répondant : « c’est léger » (du moins à transporter entre l’arrière boutique et le comptoir?). Finalement nous trouverons notre bonheur dans la boutique « Adventure Gear », sur la place centrale, où tout le matériel nous coûte 7000 CLP (10.50EUR) par jour. La tente, Hannah Serak, 2.5kg, nous semble pas mal.
Nous attaquons ensuite la partie délicate : faire des provisions pour cinq jours de marche. Si on prend trop, ça fait du poids à porter pour rien. Si on prend pas assez, on risque d’avoir faim. Finalement nous partirons sur la base suivante qui s’est avérée être correcte. Par personne et par jour, nous prenons
- 200g de pâtes rapides à cuire
- 30g de soupe en poudre
- 100g de protéines et graisses animales (charcuterie, thon à l’huile, saucisses de Strasbourg)
- 15g de lait en poudre
- 2g de thé
- 10g de sucre en poudre
- 50g de viennoiserie (le mieux qu’on ait trouvé est un gâteau type quatre-quart recouvert de chocolat)
- 50g de snack (biscuits, barres de céréales, fruits secs, graines…)
- 2g de condiments
- 100g de pain de mie
Ça fait un total d’environ 550g par jour et par personne, donc 5,5kg de bouffe à porter entre deux pour ces cinq jours. Quant à l’eau, elle se trouve sans problème sur place et descend directement de la fonte des glaciers, donc pas besoin de pastilles purificatrices.
Le bus qui va de Puerto Natales au Torres del Paine, environ 150km, coûte 15000CLP (22.50EUR) aller-retour, part à 7h30 et s’arrête à l’entrée du parc, au catamaran-ferry du lac de Pehoé (12000CLP (18.00EUR)), et à l’administration du parc. Le soir, il faut le trajet en sens inverse. L’avantage, c’est que seul l’aller doit être réservé, on fait le retour quand on veut, ce qui permet d’écourter son trekking en cas de mauvais temps. Entre l’entrée du parc et le début des sentiers de randonnée, il y a une piste de 7km qui peut se faire à pieds ou en bus pour 2500CLP (3.75EUR).
Contrairement à l’Europe, en Amérique les parcs nationaux sont payants. Ici il faut payer l’entrée 18000CLP (27.00EUR).
Le camping y est sévèrement réglementé. Le bivouac n’est autorisé qu’à certains emplacements. Certains sont privés et payants et d’autres gratuits. Les privés sont en général un peu plus confortables : quelques fois il y a des douches chaudes et parfois on peut poser sa tente sur une plate-forme en bois. Mais les prestations varient beaucoup d’un camping à l’autre. Nous prévoyons notre itinéraire en ne campant que sur les gratuits, surtout que l’ambiance y est plus sympa :
- J1 : Catamaran de 12h, marche jusqu’au campement « Guardas » avec vue sur le Glacier Grey
- J2 : Marche de « Guardas » jusqu’au campement « Italiano »
- J3 : Aller-retour dans la « vallée Française »
- J4 : Grosse journée de marche du campement « Italiano » jusqu’au campement « Torres »
- J5 : Aller-retour à la base des tours, et marche depuis le campement « Torres » jusqu’à l’hôtel « Las Torres », bus jusqu’à la sortie du parc
Petite précision : aucune carte n’est nécessaire, il n’y a pas d’autres sentiers que ceux indiqués sur le plan fourni à l’entrée du parc et les sentiers sont bien balisés.
Renseignements pris à Puerto Natales, on sort de deux semaines de mauvais temps, et il faut profiter de cette fenêtre avant le retour de la pluie dans 3 ou 4 jours. Apparemment ici avoir plusieurs jours de beau temps consécutif n’est pas facile. Et en plus de la pluie, il y a beaucoup de vent : jusqu’à 150km/h dans les cols. Étant donné qu’il souffle presque toujours d’Ouest, nous adaptons notre circuit en conséquence. Les gardes forestiers nous raconterons l’histoire de deux grimpeurs colombiens qui ont attendu 2 mois en bivouac dans une grotte au pied des tours afin d’avoir les conditions permettant l’escalade (2 jours avec nuit suspendu dans le vide). Ils ont fini par rentrer chez eux bredouilles.
C’est donc avec un ciel bleu que nous partons avec Sandrine, Cyrille et Pascal en direction du glacier Grey. Le glacier est époustouflant : un gros mur de glace surplombant un lac gris sur lequel flottent de gros icebergs. Je m’approche jusqu’au bord afin de faire quelques photos. C’est à ce moment là que j’entends un bruit d’orage : un gros bloc s’est détaché et est tombé dans l’eau. Gros coup de pression : craignant la vague crée par la chute (sur laquelle certains ce sont essayés à surfer http://www.youtube.com/watch?v=qFKgQwou7ls ), je cours vers le haut pour me protéger. Finalement les icebergs absorberons l’énergie de l’onde avant qu’elle atteigne le rivage.
Le lendemain, direction la vallée Française. Avec les sacs encore plein de provisions, environ 15kg à nous deux dans un sac de 30L et un sac de 45L, nous ne marchons pas vite. Nous entendons un cri inhumain.
C’est Sandrine qui est tombée et s’est ouvert le genou. Avec Cyrille ils décident de retourner à Pehoé afin de faire soigner ça si possible. De notre côté, nous continuons notre chemin jusqu’au camping « Italien », qui se trouve au pied de la vallée Française. Pascal est loin devant et n’a rien entendu.
Le soir nous arrivons exténués et nous renseignons : Pascal après avoir monté sa tente et attendu 1h est parti faire l’aller-retour dans la vallée Française. Juste avant la tombée de la nuit, nous voyons arriver Cyrille et Sandrine : ils ont rencontré un pompier français qui avait du Steri-Strip, qui a nettoyé la blessure et qui a dit à Sandrine exactement ce qu’elle voulait entendre : « si j’étais vous je continuerai ». Peu après nous voyons revenir Pascal qui nous déclare avoir eu un coup de cœur pour la vallée Française.
En préparant le repas, nous rencontrons Alejandro, un madrilène qui voyage avec sa chaussure du « Coq Sportif » ( http://deviajeconelgallo.blogspot.com.ar/ ).
La nuit nous confirme que le tapis de sol ne sert qu’à isoler du froid, mais ne constitue en rien un matelas : la terre du sol est bien dure et nous avons l’impression de dormir sur du béton.
Nous avons l’impression qu’un orage a commencé. Ce sont en fait les blocs de glaces du glacier français qui tombent par moments.
Notre troisième jour est presque une journée de repos : aller-retour de 13km, 620m de dénivelé, dans la vallée Française. C’est magnifique malgré les nuages. Le soir le ciel se dégage et nous pouvons voir les « Cuernos » (cornes en français).
Tout d’un coup nous voyons quelqu’un arriver en courant : un membre du groupe de géologues qui est en train de faire des prélèvements dans le parc a marché sur un pont de neige qui a cédé : il s’est retrouvé dans une petite rivière avec une cheville déboîtée. Une dizaine de ses coéquipiers s’organisent pour le ramener. Nous leur proposons la couverture de survie et une lampe, mais ils sont déjà bien équipés. Ils sont accompagnés du garde du parc, qui malheureusement n’a aucune formation d’alpinisme ni de secourisme. Ils reviendrons à 2h du matin et le blessé sera évacué le lendemain par le catamaran du lac Pehoé.
Notre dernière nuit est la plus froide. Avec mon sac de couchage +15°C et celui de Marta +5°C, nous avons tous les deux froid.
Le quatrième jour, nous disons au revoir à Cyrille et Sandrine, qui rentrent par Pehoé, et continuons vers l’Ouest.
Nous devons traverser la partie du parc qui a été le plus touchée par l’incendie de 2012 : c’est parfois lugubre, mais ça a un certain charme, lorsque les branches d’un blanc étincelant contrastent avec les restes d’écorce noire et les nouvelles pousses vertes. C’est impressionnant de voir à quelle vitesse la forêt reprend vie. Cet incendie a été causé par un touriste israélien qui a fait brûler son papier toilette, et a mis le feu à 600 hectares. Le règlement est très strict : les feu de camp sont interdit et les gazinières de camping ne peuvent être utilisées que dans les abris se trouvant dans les campings. Je m’étonne juste de ne pas voir d’extincteur à proximité de ces abris. De plus, le règlement ne s’applique pas pour tout le monde : dans la partie privée du parc, nous voyons plusieurs traces d’anciens « asados » : barbecue à même le sol.
En cours de chemin, la pluie fait son apparition. Marta a en outre de grosses ampoules et a du mal à marcher. Nous décidons finalement d’écourter le trekking et de sortir du parc, plutôt que d’aller camper au campement « Torres ». Notre W se transforme en LL.
Au final, nous aurons fait 18+19+13+18=68 km et 250+250+620+200=1320 m de dénivelé. Pour faire le parcours total, il aurait fallu ajouter 18 km et 750 m de dénivelé. Il nous reste encore à prendre 2 bus pour enfin arriver à l’hôtel à 22h, où nous partageons la chambre avec un couple qui n’a pas vraiment compris le concept de dortoir.